Publié le : 02/09/21

Quels enjeux a fait naître le covid-19 pour la fonction paie ?

La pandémie du Covid-19 est un événement d’ampleur historique qui bouscule l’humanité depuis près de deux ans. Cette crise aura conduit à la mise en place de nombreuses mesures pour tenter d’endiguer la propagation du virus. Ainsi, les populations de plus d’une centaine de pays, ont dû affronter plusieurs phases de confinements et des mesures économiques exceptionnelles telles que les fermetures obligatoires de lieux de vie ou la mise en place de dispositifs d’activité partielle.

Dans ce contexte, les entreprises ont été constamment mises au défi pour s’adapter à un environnement sanitaire, économique, légal et social des plus turbulents. Nous nous intéressons en particulier au vécu des professionnels de la paie et aux enjeux qu’a fait naître le covid-19 pour la fonction paie.

Dans le présent article, nous aborderons tant les bouleversements induits par la crise sanitaire pour les professionnels de la paie que les actions menées pour y faire face. Cet article est basé sur le fruit de multiples échanges avec des payeurs (gestionnaires, responsables, directeurs) de Grands Groupes, Cabinets et PME.

 

Les payeurs au cœur d’un environnement législatif turbulent

L’ensemble des strates de l’organisation a été impacté par la crise sanitaire, cependant, la gestion de la paie fut sans doute le maillon le plus exposé de la chaîne. En effet, face à ces turbulences, le payeur était doublement impacté : à la fois par le contexte (hyperconnexion, surcharge de travail, confusion des temps de vie), mais aussi par son rôle de responsable de la conformité du bulletin de salaire et du “portefeuille du collaborateur”.

Les professionnels de la paie ont ainsi dû faire face à des évolutions législatives d’une vélocité sans précédent, portant notamment sur les règles d’indemnisation et de gestion du chômage partiel, les droits aux tickets-restaurants des personnes en télétravail, les modalités de calcul du délai de carence entre deux contrats, les règles dérogatoires applicables aux arrêts de travail, le calcul des congés payés…

Dans ce contexte, les revirements et les flous juridiques ont été légion et ont amené une surcharge conséquente pour les effectifs paie. Afin de faire face à ces changements, et en l’absence de perspectives sur la fin des mesures, les payeurs ont été contraints d’assurer une veille juridique au jour le jour afin de répondre aux interrogations à la fois de leur hiérarchie mais également des différents collaborateurs inquiets face aux dispositifs de chômage partiel et d’arrêt des activités. Les payeurs ont dû apprendre à réagir à des informations lacunaires ou des modifications incessantes dans les dispositifs les obligeant à travailler parfois rétroactivement sur les bulletins de leurs salariés. Le défi était double ici : sécuriser la paie des collaborateurs mais aussi le payeur lui-même qui, en tant que professionnel, s’est retrouvé dans une position parfois inconfortable pour maintenir son niveau d’expertise et sa crédibilité interne.

Pour faire face à la crise, les professionnels ont dû se fédérer, se former en un temps record, faisant ainsi émerger une dynamique d’entraide sans précédent dans le milieu de la paie.

Avec l’appui des réseaux sociaux (par exemple « le collectif des payeurs », qui compte désormais près de 700 payeurs inscrits et plus de 3 000 abonnées sur LinkedIn) certains payeurs ont pu sortir de leur « isolement » en confrontant les principales problématiques rencontrées et en accédant aux informations les plus fraîches sur un sujet donné. Ces collectifs nouveaux ont assuré une double fonction : sécuriser leurs informations et leurs pratiques, mais aussi apporter un soutien indispensable de leurs pairs dans un environnement fragilisant le lien social.

 

Une digitalisation accélérée pour faire face à la crise

Au-delà de cet aspect législatif, qui est une composante importante de la crise sanitaire, le premier confinement a également accéléré les mouvements de digitalisation pour faire face efficacement aux contraintes du distanciel.

L’autre enjeu des payeurs, fut donc de s’adapter à de nouvelles modalités de travail. Ainsi, plusieurs employeurs et salariés, réticents au télétravail et à la numérisation des processus ont dû y faire face et s’adapter du jour au lendemain.

Les professionnels de la paie, dès le mois de mars 2020, ont dû établir les bulletins de salaire du mois en garantissant la conformité légale et la livraison des BS. Ces tâches n’étaient pas une mince affaire pour une grande partie des organisations. Dans l’urgence, les entreprises ont dû investir dans des équipements de travail à distance (ordinateurs portables, VPN), ou redoubler d’inventivité pour garantir un fonctionnement optimal avec les équipements actuels.

La plupart des entreprises se sont heurtées à de nombreux obstacles et n’ont pu assurer un fonctionnement en 100% dématérialisé. Parmi les principaux obstacles nous retrouvons : l’absence de signature électronique, plusieurs éléments du process paie impliquant des documents papiers (dont le BS et sa vérification) et des modes de règlement physique (chèque pour les STC…).

Au niveau des interactions professionnelles, les entreprises les moins équipées ne possédaient ni réseaux sociaux d’entreprise ni outils de visioconférences pour assurer la transmission des informations et le maintien des réunions d’équipe. Là encore, c’est dans un laps de temps très court qu’il a fallu les implémenter dans le fonctionnement du service et se les approprier. Il s’agissait de pouvoir à la fois communiquer avec les salariés pour les informer des règles applicables mais aussi avec les payeurs eux-mêmes pour consolider les informations et s’assurer d’une application parfaite des mesures en place. Cette situation de crise a parfois permis, a contrario, de booster des outils jusque-là négligés en interne, tels que les intranets, devenus les seuls canaux communs à tous.

Cette phase d’apprentissage douloureuse, a mis en exergue le retard des entreprises françaises en matière de dématérialisation et de travail à distance. Ce constat avait déjà été mis en avant par Cegid en 2019, qui dans son étude[1] indiquait le fait que seules 20% des entreprises françaises étaient passées au bulletin de salaire dématérialisé, loin derrière nos voisins allemands (95%), anglais (73%) et italiens (57%).

Si la dématérialisation et la numérisation de la fonction ont toujours suscité des résistances, les conditions de travail exceptionnelles découlant des mesures sanitaires et la difficulté à établir les paies ont mis la profession face aux limites des modèles actuels et ont accéléré la transformation digitale.

En outre, face à l’adversité, la dématérialisation est devenue une nécessité pour les payeurs car elle permet un accès, un stockage et un partage facilité des principaux documents de la paie. La digitalisation des processus (signature des documents, automatisation des indicateurs de suivi, collecte des heures, saisie des congés, des notes de frais…) devient également un enjeu clé pour faciliter l’établissement de la paie. Pour pérenniser le service et éviter toute perte d’information en cas de nouvelles perturbations, le Covid-19 a également fait naître un besoin de formalisation des processus. En effet, avec l’absence de certains collaborateurs en temps de crise, la formalisation des connaissances et des pratiques est devenue une nécessité pour les services paie. Si la pandémie a chamboulé la profession et a nécessité une forte dose d’adaptabilité, la réaction des payeurs et les outils numériques ont permis une restructuration beaucoup plus agile et durable.

Enfin, il ne faut pas oublier d’ajouter au débat la dimension du vécu « psychologique » de la crise sanitaire. Si les payeurs ont été un au cœur du process pour assurer une gestion optimale du portefeuille salarié, ils n’en demeurent pas moins des salariés eux-mêmes. À ce titre, ils ont pu être fragilisés, comme chacun, dans leur vie sociale, leur équilibre vie personnelle-professionnelle, la pratique parfois « forcée » du télétravail. Ils ont alors dû faire, avec brio, la part des choses pour satisfaire les demandes des salariées mais aussi leurs propres besoins. Il est certain qu’ils ressortent de cette période de crise avec plus d’expérience pour assurer leurs missions dans un contexte plus instable.

1] https://www.cegid.com/fr/blog/demat_rh_challenges_rh_2020/